Arriver

 

L’ascenseur me détache.

Délaissant ce que je viens d’être

je vais sans doute devenir

à l’étage et résoudre

la multiplication du zéro

qui à elle seule gobe le monde sans hésiter.

J’ouvre la porte de l’appartement

les clefs vont ouvrir le silence qui revient

dans ce couloir où tant sont passés

avant moi. J’ose croire

que ce jour n’a jamais

existé avant les sept premiers.


Site : La page blanche, n° 46 (2012)



Ligne, éd. La Porte, 2016


Le soir les voix s'éteignent
les dernières minutes
toussent au bord du rêve
où la fraîcheur qui nous gagne
fait de nous des rescapés.


Poème 8, in Ligne, éditions La Porte. 

ARPA 137-138, poème


Le bruit discret retentit sur

la rue maintenue par les murs

de ma maison : histoires de vie,

valises, fardeau ou nécessaire

de voyage que tire la main affairée.

L'accueil n'a pas de porte, tout

peut entrer dans le vestibule inquiet

de l'oreille.


Poème inclus dans CHANT DU MILIEU, in Arpa 137-138, octobre 2022


 

Roux

 

Roux contre les maisons basses, les arbres

et les marches par deux, les pas pressés

sur le roux glissent si l'on y marchait,

une autre fois la fenêtre rougit

orange en me fixant au virage. Rousses

chauves minutes, à l'accélération, et sang

hurle hurle le train, secouant les marchandises

des transportés jusqu'à leur destination, pleins du roux

de la rue encore que regrette la feuille tombée.


Arpa n° 137-138, octobre 2022



Merci à Gérard Bocholier, Jean-Pierre Farines, François Graveline, Christiane Keller, Pierre Maubé, Colette Minois et Christian Moncelet, pour ce superbe numéro à découvrir.

Photos : Antoine Farre



Extrait de DES EQUILIBRES

 

Il y aura des rires attrapés dans leur envol, des éclats mêlés au calme, le tambour sourd de l'été, les volets fébrilement repoussés par la pénombre, la salamandre qui résiste au feu, sous le toit ; les graves sentinelles mousseuses des pins sur la terre, le long des lignes sinueuses de demain, et le lierre qui lit le visage des façades, avec son feuillage aux petites têtes pensives, attentif au moindre signe d'abandon.



Extrait de DES EQUILIBRES, Bruno Guattari éditeur, juillet 2022


Rentrer

 

Je rentrerai par le train 80 600,

pendant que le 6 se dénoue dans le 7,

entre chien et loup, exactement. Dans la bouche

souterraine, j'aurai un 8 pour t'enlacer, nouveaux

toi et moi sous l'horloge du parvis, à l'heure

3 ou 4, selon toute vraisemblance.


Photo  :  Marianne Gioia


Troie

 

Entre toi et moi un nom s'immisce par les interstices,

son nom doute après nous qui jonglons avec lui

dans la partie du réel pris pour comptant.

C'est là que se réparent à la hâte les machines

défectueuses, là sous la suie des carreaux

les plaies mécaniques où les mains sont un bien

qui consume. Manier et animer sont un labeur

interminable de l'esprit. Derrière les portes de l'entrepôt

aussi hautes qu'un monstrueux qui attend,

force le cheval de Troie.

Dieu danse

 

Une bulle de savon chassant l'autre,

derrière mon visage déformé passe

l'Argentin qui parle à lui-même, son accent

italien dans son allure française. Tango.


L'air matinal fait un pas de deux et

les fils des autobus esquissent un huit perpétuel.

La perche guide le mouvement, on s'accorde

apaisé, Dieu danse dans l'aire apatride.



Lecture de DES EQUILIBRES

 Un extrait de DES EQUILIBRES, paru aux éditions Bruno Guattari éditeur (BGE), dimanche 16 octobre 2022, au salon de la revue (Halle des Blancs Manteaux, Paris), salle Michel Deguy.

Les éditeurs et auteurs y étaient : Philippe Agostini et Bruno Guattari, Olivier Gallon (pour la présentation de la revue La barque dans l'arbre), Alexis Audren, Adèle Nègre et Fabrice Farre.

Les images sont de Marianne Gioia.



DES EQUILIBRES -- Bruno Guattari Editeur, 2022

 


Si le mot répond à la voix, deux font quatre, là sous les
huit lentisques. Avec le hasard, l'ordre lancé décide du
destin et de l'autre qui, lui, se défend de l'assaillant : le
mètre contre la logorrhée. La joute défie lentement le
chant de l'oiseau perché dans le taillis abstrait. L'ossa-
ture de l'air se dresse comme une lance, on écoute en
rangs serrés. La parole assène un coup de grâce à l'ani-
mal de guerre aux abois.


La lettre n'a pas été envoyée. Le silence écoute, debout,
l'espace entre deux maisons. Qui l'a écrite est parti, déjà,
chez quelqu'un qui ignore qu'il aura des nouvelles bien-
tôt, mais qui sait que le monde se resserre soudain tout
autour quand on tire le fil de trame. Obstiné, le silence
récapitule chaque mot ; l'émetteur craint la compagnie
de l'ombre. Le récepteur, libre atome, constitue la pen-
sée des deux autres.


Recueil acommpagné des 16 photographies de Philippe Agostini.


>>>> Commandehttps://www.brunoguattariediteur.fr/catalogue/fabrice-farre-des-equilibres/

90 pages. Prix : 10 €

Remerciements au revues : Mot à Maux, FPM, margelles, Wam !,
Osiris, Le Journal des Poètes, et Lichen, Traction-brabant, Recours
au Poème, Place de la Sorbonne, pour les mois à venir.

Zootrope

 

De petits hommes, miniatures ou vignettes,

foulent écueils et butées dans la réalité.

Ce sont les plus belles routes du désastre,

rien pour émerveiller le jardinier improvisé.

Pendant le voyage, fermés sous la couture,

les yeux voient girer le zootrope. Demain,

sous les cailloux, ruisselle avant le fleuve.



La gare

 

La désobéissance s'arrête aux carrefours,

le temps qu'elle ôte les larmes ferrées,

puis elle lève ses épaules menues

et les frontières gagnent de nouvelles

latitudes. Elle dérobe, à l'insu des douaniers,

les fruits supendus que livrent les branches

d'arbres inconnus, de l'autre côté des barrières.


Maraude

 

Passera ne passera pas, vieux

dilemme éculé de la fraude :

certains arrivent à bon port,

vivent plusieurs fois ou bien

meurent pendant la maraude

au signal des hauts sémaphores.

A bord

 


Un gros ballon s'élève, à bord

l'oubli est un léger espace

où l'on se perdra volontiers.

La nacelle souple s'efface

immobile, on entend craquer

l'osier de l'instant en transport.



Un jour...

 

Photo : Marianne Gioia


Un jour, puis l'autre et l'autre encore,

vagues et motiés de zéro,

ponts interrompus à l'envers

dans le ciel figé du décor.

Le manque complète le o

de la dernière caténaire.


Angela

Angela n'a jamais su quel                                   

a été le meilleur endroit

pour s'installer à son aise.

Arrivée enfin au port, elle

voulait revenir sur ses pas :

Angela n'eut jamais de chaise.




Lundi

 

Le mot s'est attardé dans l'air

juste sous l'auvent décati,

mais il nous a touchés de plein

fouet, avant l'arrivée du train.

L'adieu, mais que peut-on en faire.

S'il nous effleure, il nous saisit.

Déclin

 

Pâquerettes de cimetière,

filasse d'argent lasse d'or.

Vieillard pêcheur par lâcheté

jette au lac ses filets de pierre

où ne frémit qu'un hareng saur 

d'une éclatante pauvreté.




Aller-retour

 


L'aller tout autour de la ville

ne laisse voir des deux lilas

que l'élan vif vers le ciel court ;

moi je la vis toute fébrile,

dans son lit. Elle murmura

qu'il n'y a pas d'arbre au retour.


Renard

 

Qu'il semble lointain, ton petit

nom prononcé à chaque fois

que je passe le long du stade.

Il retentit puis ralentit

le pas du renard qui musarde

avant de revenir vers moi.





Recommandations

 

Source : NeozOne, 27/02/2021

Je te recommande instamment

de l'enfourcher et de partir

par les forêts autoroutières,

arbre après arbre, contre vents

et marées et nuits. Mais que dire.

Dynamo animée éclaire.


Le train

 Le train n'explique pas les distances,

il les parcourt. Non loin des rails

tu peins les visages du jour

avec ceux des voyageurs. Entre les murs

jaunes gagnés par un soleil de tabac doré

tu imagines quels sont les wagons de

demain - Ceux d'aujourd'hui,

ceux de demain, dis-je. - Alors,

tu as pris le train de la vie

ou le dernier wagon.


Le Journal des Poètes, 2022 - 91e année

Directeur : Yves Namur

Rédacteur en chef : Jean-Marie Corbusier

Comité de rédaction : Catherine Barsics, Carino Bucciarelli, Philippe Lekeuche, Karel Logist, Dominique Neuforge, Gérald Purnelle.


Graphisme de couverture : Luc Van de Velde. Encre : Pierre Cayol.

Editorial : Jean-Marie Corbusier.

1. En remontant l'histoire du Journal des poètes : entretien de Madeleine Israël avec le poète juif André Spire, par Gérald Purnelle.

2. Coups de cœur : poésie de Jean-Jacques Dorio, Gaspar Hons et Salvatore Quasimodo.

3. Quelques voix poétiques suisses : présentation et sélection proposées par Eliane Vernay et Jean-Marie Corbusier.

4. Paroles en archipel : Agnès Adda, Jacques Ancet et François Migeot, Gérard Berréby, Serge Brédart, Marion Depret, Fabrice Farre, Christophe Pineau-Thierry et Sacha Zamka.

5. A livre ouvert : à propos de Jacques Ancet, Muriel Claude, Jean-Marie Corbusier, Michèle Finck, Karel Logist, Gérard Pfister, Rachel, Jean-Loup Seban, François Teyssandier.

6. Libres propos : Yves Namur.



WAM ! , numéro 6 de juin 2022

 

Directeur de publication et choix éditorial : Robert Roman.

Images de  : Ivan de Monbrison, Valérie Mourey, Matt Mahlen, Walter Jagueneau, Mathilde Guy et Pascal Ulrich.

Quatrième de ouverture : collage de Bruno Sourdin.

Travaux de retouches : Pascal Lenoir.

Sommaire : Mouch (BD), Aline Recoura, Hélène Miguet, Dominique Sorrente, Gracia Bejjani, Joseph Pommier, Serge Muscat, Eric Moutier, Yvan Robberechts, Râjel, Mathilde Guy, Edouard Thalinger, Stéphane Casenobe, Flora Delalande, Sacha Zamka, Fabrice Farre, Zoe Heselton Fry, Babouillec, Paul-Aubry Pommiers, Eric Dejaeger et Matt Mahlen.

A propos de revues : Didier Trumeau.

Tour

 

Combien de fois suis-je né quand

j'ai touché le quai pour venir

te voir, impatient. Et le jour

du départ je pouvais choisir

de m'en aller tout en restant

avec toi, en haut de la tour.


Bref

 

Les enfants mâchent leur gomme

dans le dernier compartiment,

ils rient d'éclats de bulles

roses et rouges maintenant

vieillissent dans la capsule

du lendemain, ronde pomme.


Clef

Nous l'avons perdue de l'avoir laissée
nous enfermer, cette petite clef
qui maintenant nous observe,
avec ce profil qui est le nôtre.
Nous pourrions la faire tourner
dans la serrure sans parler
une seule fois dans nos gorges.
Ève, tu actionnerais le ressort du pêne,
je serais le premier Adam à te dire
que la porte s'ouvre enfin (1).




(1) : les termes « gorge » et « pêne » appartiennent au lexique
du serrurier. « Ève » est aussi « la nervure qui sert à guider  la
clef dans la serrure ».


Extrait de La figure des choses, Editions Henry, 2014.

Grenade



Le foulard à ton cou frémissait à chaque
fois que tu prononçais un mot, n'importe
où en présence ou pas de témoins.
A la Pension, le rouge avait marqué la
nuit ferme au sein de l'arène du rêve et
nous avions cru disparaître.
Dans le silence permanent de la taille du
tissu vient s'ajouter la couleur du désir.




Laisse donc parler le puits
par où reviennent ceux qui ont un langage
dans le reflet si tu le vois
dans le noir.
Il y a ce corps inepte à tout regret
une image flottée – peut-être
ton visage si tu te penches davantage
pour voir. Certes, l’eau grossit les traits
de la figure des choses




La figure des choses, Henry, Coll. « La main aux poètes », 2014.

L'arbre

 

Parfois, il quitte les cimes

pour revenir vers nous,

il se fait humain, étreint

qui respire à terre.


Parfois, l'oiseau d'un chant le relève,

par ce chemin ôte l'écorce

et vous efface pour trouver le ciel.


AVANT D'APPARAÎTRE




La vie, je l'ai apprise en te voyant descendre
du haut de cet escalier résonnant comme
la pierre qui garde à l'esprit l'effort de l'équilibre.
Je songeai devenir le garde-corps ou bien
les marches, tolérant l'existence sans qu'il fût question
de faux pas. Au moins la main. Je vécus armé
de la volonté, dénigrant mon corps pour porter
le tien. Ou bien l'escalier oublia-t-il un instant
que le mur le soutenait. Je sus alors
que ne tient que si l'autre maintient.




Ton prénom : Lucia, frêle insecte au pied
du mur où nous comptions les soleils, dans la langue.
Tes mains scellées n’avaient pas de paume,
au jeu pourtant elles s’ouvraient.
L’orgue sarde du vent blanchissait les toits,
les figuiers sonnaient, en rien barbares, nous
avions trouvé le centre, sans doute l’odeur
du fruit, et l’un ou l’autre touchait enfin
la paroi, sans être vu ni des silhouettes à laine
ni des têtes au travail recourbées dans leur visage.




Par notre absence noircissent les pommes,
nous succombons au métronome, transparents
comme le sommeil nous courons comme
l'eau afin d'aller veiller les reflets des hommes
qui vivent longtemps après nous.
A contre-courant, dans le débit des remous
porteurs, nous poursuivons la mort, semant
la vie à l'origine de la rivière où toi
et moi avons trouvé, limpides, sans jamais
chercher l'éternité, les visages de l'un et de l'autre.



Extraits de Avant d'apparaître, Unicité, Coll. Le Vrai Lieu, 2020.
50 poèmes. 13 €.

Des équilibres

 

Au pied des murailles tracées de linéaments, quelqu'un de dos dort, les mains liées, sur le dos. Deux souliers parmi les nôtres, sous la neige, marchent coiffés de fleurs.


 

Feuille


Tombée, la feuille
cache le chemin du retour.
A chaque extrémité pointe
une direction; chaque nervure
serait une confession confuse
et la perte, un voile de pudeur.


Extrait de Loin le seuil, La Crypte, 2017





Trait pour trait

 

Leur jeu consistait à courir dans la direction contraire du wagon, à la même vitesse, afin que les portes ouvertes de part et d'autre leur offre l'occasion de se voir une nouvelle fois. L'un connaissait le visage de l'autre, pourtant la peur tenaille, puis efface la mémoire. Au bout de l'épuisement, enfin, la surprise dévaste : elle est celle qui révèle l'image de son semblable où chacun se reconnaît trait pour trait.



Nourrice

 

Ma noire nourrice a le corps couvert de plis de sagesse, elle voue à ses Saints le chant du lait d'où naissent promesses et retour. Une fois franchi le seuil de son sourire, la chambre unique d'une seule fenêtre fixe le bol de terre où trempent les lèvres du vieil enfant. Et le cuivre solaire, roulant sur les vieilles terrasses de béton désarmé, regrette un or convoité dans la mine profonde à ciel ouvert.



Forêt primitive

 

L'homme sort de la forêt primitive,

une foule plantée l'observe. S'il marche,

c'est lorsque les arbres pensent ; il gagne

la rivière, son cœur obstiné appelle le pic vert :

l'écho de soi dans le bois.

Il s'arrête, le tronc s'interroge, saisi

par les couleurs contraires de son écorce.

Les feuilles tombent, le vent du hasard

les ramasse et de l'air naît un autre semblable.


Osiris n° 93 (49ème année) - 1972-2021

Rédaction : Andrea Moorhead

Conception graphique : Robert Moorhead


Sommaire                                Extraits

 

Andante

Mais mon ami cheval, quel est ton nom ?

Ta course l'a effacé. Et moi, t'ai-je trop observé

pour tout oublier de la terre et de nous.

Avec toi je veux aller comme on se résout

à disparaître. Vieillir disperse : toutes les images

affluent avec leurs sabots et la lenteur après l'effort

désarçonne ceux que nous fûmes facilement. 



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