DE LA SOLITUDE

 

Qu'est-ce donc ce qui picote les carreaux,

le soir,

quand l'oreille aux aguets ouvre des yeux

grands comme un pays.

Un papillon a dû s'égarer, rejeté

de l'endroit où il est né, accueilli

par une solitude qui, de derrière son carreau,

mesure l'inexistence.


SOUVIENS-TOI

 

Par transparence, la terre s'éloigne

en un nuage de poussière, le ciel

est orange, on entend tomber l'été

et avec l'été les jeux d'enfants qui

la bouche sèche repoussent la soif

et n'attendent rien d'autre que

cet éternel, croisé après l'ombre passante,

sur le stade ravi par une nuée de hannetons.



CLOÎTRE SAINT-PAUL

 

Elle gagne, en passant sous l'arbre, la fraîcheur de l'été

et les taches d'ombres font des feuilles sur son vêtement

qui bouge. Puis elle s'enfonce dans la terre

lorsqu'elle descend les marches jusqu'au couloir

éclairé au fond par une étoile de verre soutenue

par un lustre. On l'attend, là, au Cloître Saint-Paul,

celle que Vincent libéra, pleine d'une tendresse

qui s'évade puis revient prisonnière à chaque fois.

Elle ne quittait pas les murs bordés par le pin parasol

incliné et les quelques cyprès à la robe droite.




AVEUGLE

 

A tâtons, les mains ouvertes et l'œil retourné vers le miroir

ancien, le corps frôle les parois des appartements occupés,

descend les marches au moment du verdict, cherche

et reprend son souffle. Mais qui es-tu quand, avant d'être

touché, tu demandes à ce que l'on t'accompagne. La traversée

de la forêt de souvenirs obstrue le passage, comment

peux-tu rencontrer le corps aveugle. Il traîne dans les prisons,

le gardien t'enjoint à quitter les lieux. Tu esquives l'ordre,

te mêles à la boue des propos autoritaires, prêt à retrouver

le corps ambulant qui manque.




STANTON (Hommage à Lorca)

 

Sur les terrasses de Newburgh, des ouvriers ôtent

l'herbe qui casse entre les doigts. Un oiseau est aperçu

lorsqu'il revient de l'amour, mimant un drone

dévastant le grand dehors. Dans la maison voisine

Stanton a reçu la visite d'un sombre individu

aux longs bras : sa serviette est remplie de documents

attestant un cancer. Les fenêtres se blessent aux carreaux

que colore un rideau curcumin. Parmi les statues vertes,

Federico a vu l'enfant Stanton à mi-chemin entre

ses dix ans et Grenade subissant l'assaut des grenouilles.




UN TOUR


Terre amie terre martelée vêtue de neige veuve

les hommes sortent du sac que l'on retourne

marchent sur la terre terre amie

terre martelée de neige

puis rentrent dans le sac

que l'on jette dans la terre

terre amie martelée noire veuve


Extrait de LA FIGURE DES CHOSES, Editions Henry, La main aux poètes,  2014, p.31


SANTA CROCE


Verts les cyprès grimpent jalousent la flamme

dans le lierre des particules de guêpes

consument la muraille à peine visible

le saule embrasse un espace sans se cacher

il y pleut deux fois par an pour ceux qui dorment

chaque visiteur qui passe se redresse



UTILITE

 

La jarre vacille et vrille le cours l'emporte

la moitié du ventre s'obscurcit et l'autre

reste sèche la bouche ouverte dans les airs

Sur décision cette jarre sera sauve

par faiblesse c'est donc le poids qui la perdra

seul le hasard jugera de l'utilité

DES EQUILIBRES

 

Tendre, le goût de la graine délogée de sa gousse dure

pendant que tu le racontes. Depuis cette pierre insolée, le

coeur de terre irrigue les plants de pommes d'or polies sans

relâche dans la langue, et l'arrière-saveur salée relève le

mets d'amour calé entre tes mains minuscules. La faim

d'hier rassasie dès à présent l'amer. Au milieu du champ, ce

jour-là, dans les remous maintenant, ton histoire s'achève.


Poème extrait du recueil DES EQUILIBRES, Bruno Guattari Editeur, 2022, in Place de la Sorbonne, n°13, juin 2024.


TATOUAGE

 

Rue Balthazar, je crois, au premier

quart de la journée, les vitrines glissent

pendant la marche, engourdies d'un jour

possible. Quelque pacotille en vente y trône.

Au second quart, dans les bas quartiers de la ville,

un colosse sans âge pratique le tatouage,

j'en porterai un : l'inquiétude peut-être

de l'impasse.



DOUZE

 

L'avion qui transporte au-dessus de la chape

gronde davantage tout comme les miens :

ils reposent là où j'ai quitté leur demeure,

me parlent un langage que seul je connais.

J'abandonne dans le bruit ce qu'ils ont gardé.

L'avion transporte, brutal vous déporte.




NOIR ET BLANC

 

La neige tombe sur la route noire
dans le silence elle recouvre
les fleurs rouges. Le bruit des voix
vient de la terre alors. Bientôt la neige noire
tombe sur la route blanche :
on n’y trouve que les pas du regard.
Bientôt le blanc s’efface
le noir fleurit sous les abeilles bavardes
les unes et les autres chargées de miel clair.



Paru, pour la première fois, dans l'anthologie de Jean Foucault, in Charlibre : le poème du jour d'après, 2015, p.153.

3,2,1


Tu t'agites, minaudes, passes

sous mon aisselle, chat ou étoile

du ballet de ce lieu qui

de bien me connaître m'apprivoise.

Je respire sans me reconnaître, alors.

Tu te frottes à mon dos et tournes

autour de ma main.Toi, moi trouvons

la mécanique qui fait penser

qu'elle nous compte en ce désert,

que la fatalité nous laisse moins seuls.

À trois, le deux se console du un.



GESTE

 

Le geste désappris, maintenant,

fait ajuster le bas vers la terre. La joie

souffle l'herbe rase, la désillusion

ne descend pas davantage. C'est

ce chemin acquis qui ravine

avec le sourire le temps qui reste.


TON CHANT ...

 

Ton chant plie sur le rebord

de la fenêtre, elle l'éclaire

pendant que passent à t'écouter

les minutes. Un point serré

ourle l'émotion, un point boutonnière

attend la fleur muette. Invisible

encore, ce que tu as appris

à coudre, penché sur l'ouvrage,

accompagne la trame.



ARPA n° 143

 

Leur jeu consistait à courir dans la direction contraire du

wagon, à la même vitesse, afin que les portes ouvertes de part

et d'autre leur offrent l'occasion de se voir une nouvelle fois.

L'un connaiisait le visage de l'autre, pourtant la peur tenaille

puis efface toute trace. Au bout de l'épuisement, enfin, la sur-

prise dévaste : elle est celle qui révèle l'image de son sem-

blable où chacun se reconnaît trait pour trait.


Extrait de LES SEPT LIGNES, Arpa n°143, février 2024

VARIABLE

 

Le ciel se pose, les cyprès grimpent encore

il se murmure un chêne-oiseau, le saule tient

la parcelle qu'il voit sous la bruine,

derrière la muraille qu'habillent des particules

de guêpes et de lierre précoces. La pagne de granite s'en détache,

consolant en abritant ceux dont nous lavons leur lit

deux fois l'an. Regrets éternels, Repose en paix et flaques

on reviendra ici même rappelé par la verticale.


TENTATION

 

L'animal retourne sur ses pas,

la souche se relève en démasquant

l'arbre, les feuilles et les branches

se projettent là-haut, le ciel en verdit

et les étourneaux longtemps ensevelis

chantent à tue-tête, aiguisant le soleil

dont le médaillon s'inscruste

dans la bague du serpent migrateur.



Extrait de DES EQUILIBRES

 

Il y aura des rires attrapés dans leur envol, des éclats mêlés au calme, le tambour sourd de l'été, les volets fébrilement repoussés par la pénombre, la salamandre qui résiste au feu, sous le toit ; les graves sentinelles mousseuses des pins sur la terre, le long des lignes sinueuses de demain, et le lierre qui lit le visage des façades, avec son feuillage aux petites têtes pensives, attentif au moindre signe d'abandon.



Extrait de DES EQUILIBRES, Bruno Guattari éditeur, juillet 2022


TEMPS

 

La lande ne s'éveille pas, la brindille

roule sur les lèvres, le fumeur illusoire

s'évapore, c'est de la tourbe que s'échappent

des voiles légers et le sentier joue à finir

et à recommencer. Les jours passent

jusqu'à la fin de la semaine.



POMACEA

 

Manquant de l'étoile petite

pour regarder un peu plus haut,

je trouvais la rature d'horizon

tachée de brique minime et de coupoles.

Près des habitations copulait l'escargot

pomme ; des essaims de graines roses

formaient des colliers à ton cou

que j'embrassais quand je le voyais

ému par une pulsation.



Quelque

 

Quelque chambre inhabitée,

des chaises figées par l'huile du jour,

la cuisine murmurée au matin,

le couloir encore chargé

de conversations à bâtons rompus,

de ceux qui brisaient, conciliants, 

le rythme linéaire.



La revue MARGELLES, au printemps 2024

 

Il est possible de découvrir ce nouveau numéro, chez Bruno Guattari éditeur, en l'achetant et/ou en le téléchargeant.

Un choix extraordinaire de poèmes de Lucian Blaga et de Ion Vinea est à découvrir.  La traduction du roumain est de Mihaela-Gențiana Stănișor.




La figure des choses, Henry - 2014


 LA FIGURE DES CHOSES et autres recueils.
Vous pouvez les commander et l'auteur peut même vous les dédicacer.

ARPA n°143, février 2024

Gravures : Colette Gazet-Vibien



 Au sommaire (poèmes et proses) :

Robert BLY (traduit par François Graveline et François Monnet)

Josette SEGURA

Isabelle PARIENTE

Sylvie FABRE. G

Eric DAZZAN

Grégory RATEAU

Calou SEMIN

Christophe SCHMIT

Marie SIRINELLI

Fabrice BOYER

Mathieu GAINES

Rémi LETOURNEUR

Fabrice FARRE

Annabelle GRAL

Thibault BISCARRAT

Florent ROUSSEL-LAURENT

Frédéric MASSARDIER

Johan MILAN-HEUDE

Michel REYNAUD

Jean-Pierre FARINES


Avec un essai de Pierre PERRIN, les lectures de François GRAVELINE, Calou SEMIN et Béatrice MARCHAL, une chronique de Gérard BOCHOLIER, etc.


MODE MINEUR

 

C'était dans un mouchoir à carreaux, il cachait une forme

humaine ou un ensemble d'osselets pour les jeux d'enfants

quand le lourd s'élève, qu'il se fait nuage volontiers.


Les lignes parallèles trompaient les règles, elles se rejoignaient

ou s'effaçaient, nouées.

                                        Et noué dans ce tissu léger, il se serait montré,

jamais honteux mais favorable à la présence. Il se serait dévoilé,

l'adieu, en quittant la poche ou la main.



A CONTRARIO


Plus de la moitié du chemin parcourue pour trouver

enfin l'arbre à fraises où chantent des êtres

miracle à double bec : la gloire de l'accord.


Le sucre entamé sans excès est ce qu'estime

l'âge qui a passé la crête ; la pente est moins rude,

elle descend vers la source sage et en achevant la course

l'amertume du miel est, une fois de plus, résignation.



Poème inédit, publié sur le site OUPOLI.

Revue Alsacienne de Littérature, le n° 140

 La Revue fête son quarantième anniversaire d'existence, avec son numéro du second semestre 2023...

Le thème qui a réuni les contributeurs, cette fois, a été : " Demain".

Vous pouvez tout trouver au sujet de la revue, en cliquant sur l'image.

Bonne lecture et belle découverte !




DOUVES



Sophie Brassart (accès au site d'un clic sur l'image)

La lame de vie s'est glissée sous l'eau,

je l'ai fixée dans le miroir intime.

Au-dessus des douves, j'ai pu entendre

le brame du cerf lancer l'ultime

silence. J'ai vu les arbres, leurs branches se tendre.

Comme une feuille, je suis tombé vers le haut.


in IMPLORE, Bruno Guattari éditeur, 2020

Tiny, in LE CHASSEUR IMMOBILE

 

Ce qui resserre rassure

le lit à portée, les insomnies intranquilles

sur les mots ressassés, le travail maigre

peu enclin à nourrir l'affamé

le café qui ronronne

la mécanique de l'ordre des choses

et l'idée nomade de n'être de nulle part.

Je suis vite dehors quand je regarde

dans cet intérieur ouvert, les yeux fermés.



Extrait de LE CHASSEUR IMMOBILE, Editions Le Citron Gare, page 9, 2017, 2ème impression.

Les illustrations sont de Sophie Brassart. Accès en cliquant sur la photo.



Visite

 

Parfois, l'entier se défait de ses moitiés, elles-mêmes

sont la part infime de l'intime particule, le résidu

rempli de la pudeur silencieuse. Dans la masse

il y a un grain luisant, dans le pli un monde.


Toi qui viens me voir en entrant dans le couloir,

entres tout petit au sein de la maison maternelle,

goutte lactée entre les murs vus par la rue, avare

lumière, sourire sans te voir est sourire sans se voir.


L'enfant dans le mur...

 

L'enfant entre dans le mur. Il fait signe de sa fenêtre à coulisse,

après le son de trompette, touche la paroi qui l'éloigne,

il agite la main, les particules. Il répète


en lui des milliers de fois tant de mots, mille et sans. De ces fonds

s'échappent des méduses amnésiques, Ophélie leur a prêté ses voiles,

et les diablesses Manta ouvrent grand leur gueule d'une sombre aphasie :

l'enfance chienne errante monologue avec la grâce du Lamantin.



Bel-Air

 

Cette bâtisse où tu n'as pas vécu n'est ni de famille

ni de circonstance pour un poème qui veut naître.

Sous le lierre rouge, une fenêtre emprunte le miroir

pour fixer celui qui s'arrête, les yeux levés vers elle.


Tant de familles sont passées par cette porte cochère

leurs chiens faméliques et beaux volant au passant

immobile la faim des jours agiles et lévriers. La maison

traverse la mémoire brûlante, cherchant qui l'a vue.




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