RIEN

 

Le volet replié dans le ciel d'où croule un feuillage

comme l'air, les bruits lointains après le ressac

et la terre affluant comme une mer pour l'alité,

 

lui garde les yeux levés, scrute la mécanique du mouvement

la couleur identique varie, la chambre tient dans le cœur

dehors est une chambre où la fièvre lave le rien qui nous excuse.


In Mode Mineur (à paraître, début 2026)

AU SOIR


 

Pourquoi viens-tu me surprendre en plein jour ?

La lumière sursaute, dans le coin d’une pensée

je te suis, les yeux retournés. Sans un mot,

je te donne des nouvelles, tu réponds dans la langue

d’un temps. J’articule quelques syllabes

du dedans, de celles qui s’amarrent et permettent

d’entrer dehors, à nouveau. Je te poursuis,

leurré, le soleil te happe, mais c’est

l’éclairage d’une lampe haute. Je lis donc à la nuit

tombée. Passent ton visage, le vent dans tes cheveux ;

l’image rassemble ses reliefs.


RENTRER

 

Quand je rentre de ma leçon,

je ne fais pas le même chemin. Je m’égare souvent,

au risque de me perdre. Ma consolation

est ce que j’ai appris et que je me répète

jusqu’à l’épuisement.

 

L’autre leçon est celle du ressac en moi

qui de son écume blanchit mes cheveux.


PASSE, PASSE LA MAIN...


Passe, passe la main - l'oiseau furtif dans le bleu,

l'harmonica scintille pour répondre aux signes

étranges, à la fois noirs et blancs selon qu'ils sont

vus par mon père ou moi-même. Quelqu'un heurte le seuil

de notre jardin, le sol frappe sourd, jusqu'à nous,

l'année aura tout donné. C'est à nouveau la voix

issue de l'instrument que le père a avalé désormais ;

tous les graves sont en lui, les aigus pour les formes

sur nos têtes. Les bras massifs sont passés par

le tricot de corps blanc et le père a oublié de mourir.



In Avant d'apparaître, éditions Unicité, 2020.

 

PERPETUEL

 

Je recommence à vivre,

cette fois dans la peau du renard

buvant la rosée, enivré par le cœur

du thym généreux, fouinant sur la bute

élue par le chêne, cavalant derrière

une joie papillonnante, renardant

d’instinct avant une vie prochaine.


KØBENHAVN


C’étaient, au port, tes bras

repliés et tes mains sur la nuque.

On ne voyait que tes coudes que

tu articulais comme le Bec-en-sabot

de Copenhague.

C’était ton amitié libre ; dans les bureaux,

sur la mer calme, on négociait cent fois. 


CARTE DE SEJOUR, Encres vives, 2025




                                                                Photo de couverture : Marianne Gioia



 

La lucarne s'éclaire, la maison se soulève.

Dans l'odeur de talc fougère, les mains

ménagères fabriquent le pain de l'air.

La lampe du plafond fait voler des cercles de couleurs

et des arcs brisés et les voix aux airs latins s'amenuissent

à mesure que le lieu se retire.

C'est elle qui, tout en m'apercevant, jette

aux chats chétifs un morceau de pâte, soucieuse

de rester encore, ici-bas. Je la reconnais, léger sur la neige mère,

en moi.



EXIL

 

Les pierres montent une à une

devant la mer et la mer a reconnu

le littoral ; la mer grommèle, la mer

respire pour lui. Le souvenir la garde,

la mer colère, la mer aimée ; la mer

ne voit que le prisonnier fou à lier, à aimer

à haïr, la mer essore, la mer se terre, la mer.




L'HEURE A PEINE

 

On couche le cheval sur un grand drap, on prie

un peu en injuriant la terre où tombe le regard,

la mer laboure, les paysans rentrent. 

L’aube se lève.



LIEVRE

 

Sur la neige qui sépare

blanchit le lièvre variable,

sa stupeur fait une tache de sang

que fige l’éblouissement.



HORS-SOL


La lucarne s'éclaire, la maison se soulève.

Dans l'odeur de talc fougère, les mains

ménagères fabriquent le pain de l'air.

La lampe du plafond fait voler des cercles de couleurs

et des arcs brisés et les voix aux airs latins s'amenuisent

à mesure que le lieu se retire.

C'est elle qui, tout en m'apercevant, jette

aux chats chétifs un morceau de pâte, soucieuse

de rester encore, ici-bas. Je la reconnais, léger sur la neige mère,

en moi.


in Carte de séjour, à paraître en 2025.


Crédit photo : Marianne Gioia


ANTOINE

 

La tache de café, dans le cahier, date de l'année où tu

vins t'installer dans cette vaste maison cueillie par le

verger de l'Ardèche. Les pêches mûres au bout des branches

arquées n'étaient pas cueillies - Ton arrivée signait le départ.

Je lisais entre les lignes de chaque page ton avenir plein

d'errances, jusqu'à ce que je boive cette eau noire dont l'oeil

maintenait deux solitudes : la mienne me rendit gauche et je

renversai ma tasse ; tu vins chercher un poème de secours.


MACHINES


La carapace d'acier retient le râle du moteur, on s'affaire

sans prière, bras et mains s'agitent à l'unisson, la parole

en moins. Enchaînées au devoir, sous la lumière des fenêtres

hautes, les blouses rythmiques et bleues, traversées par un rai

de poussière dansante, actionnent des roues dont le goût de fonte,

mêlé à la salive, est la raison de déglutir. La gueule béante

libère de petits trains de cartons prêts pour l'expédition, un tapis

rotatif les entraîne. Les machines parlent mieux que quiconque.


FLOCONS

                                                                                                                                                 à ma mère

Les flocons, sur le lac, font encore tomber ses larmes, c'est

déjà demain avec son cortège improbable qui arrive

du désert : ce n'est plus hier, seules les chansons sont

tristes si elles se retournent. Le lac gelé, c'est donc que

le froid s'est épris de l"insaisissable, la glace empêchera

l'ascension du plongeur en apnée. Pour apaiser le lac, un peu

moins de chagrin serait le mieux pour réduire la taille

du monstre résigné qui s'abîme, peu à peu, dans la fleur blanche.


RECONCILIATION


Le fuseau de ta main tresse l'air, revient accidentellement

au bord de la tasse. L'après-midi fleurit sur la porcelaine,

l'été est généreusement anglais, deux ou trois doigts courent

sur ton menton, se rassemblent pour allumer une cigarette.

Je te vois en détails devant la flamme, tu t'éloignes derrière

le nuage. Ta mimique conclut le dilemme du plaisir et de son

contraire. Une mèche se noue autour de ton doigt dressé vers

le haut. Il n'y a de hauteur que l'impatiente réconciliation.



La revue Osiris, n° 99

Andrea et Robert Moorhead publient le nouveau numéro d'Osiris qui, cette année, fête son cinquante-deuxième anniversaire.

En voici le sommaire :




POURQUOI VIENS-TU


 

Pourquoi viens-tu me surprendre en plein jour

alors que je pratique l'art sans talent de la

disparition. En ce jour de nuit restante, ta pensée

me réjouit, je la poursuis et me rends compte

que je m'évapore un peu plus dans le moins.

Ce sont ces deux pôles qui éclairent ma raison

de m'éteindre : la lumière augmente, aussi chère

qu'un vacarme qui s'éloigne. Pourquoi viens-tu.



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